LA PIÈCE, SON PROCESSUS,
SON ÉVOLUTION DANS LE TEMPS
Nous avions entendu parler de Pina Bausch, mais aucun d’entre nous ne connaissait ses spectacles. Nous faisions donc de la danse-théâtre sans le savoir et on revisitait spontanément le music-hall à notre façon.
Nous ne savions pas « faire du théâtre », mais nous avons inventé notre façon d’en faire : nous avons tenu nos rôles séparément dans la rue toute une journée, costumés et sans savoir ce que les autres allaient faire.
Nous sommes partis de chez nous et nous nous sommes retrouvés en impro au Grand café de La Coupole... la gageure : personne ne devait découvrir nos personnages de fiction et nous devions tout intégrer, aller au bout sans faillir, se séparer après la rencontre et rentrer chacun chez soi, se rappeler après.
C’est ainsi que, après trois mois d’improvisations et un mois de recueillement et travail intensif, à la campagne, nous avons profilé, forgé et mis en abîme nos personnages, structuré ce spectacle musical, gestuel et théâtral.
Nos rôles taillés sur le costume de nos parents, disaient beaucoup plus qu’une simple histoire, ils disaient notre désir de changement d’époque et de valeurs, exprimaient une révolte autant que l’amour et la reconnaissance de ce que nous avions reçu et de ce qui nous avait « faits », mais surtout un besoin de liberté de création et l’affirmation de notre sensualité et de nouveaux rapports entre les personnes.
Une utopie, certes, mais qui regorgeait de vie grâce, sans doute, à l’équilibre très instable de la «conjuration» de nos forces et le risque de ne pas pouvoir poursuivre le projet fou de 10 jeunes artistes.
«Qui a tué Lolita?» s’est produit dans de nombreux pays ; dans chaque lieu, l’implication du groupe et de nos partenaires de production et d’accueil a été si forte que chaque représentation était l’occasion d’événements autour de cet esprit. Chaque lieu était investi d’une mise en scène différente, d’une prise en charge, à tour de rôle, d’une nouvelle scénographie. La pièce a été reprise à l’Étoile du nord il y a une quinzaine d’années.
Nous avons arrêté les tournées pour aller plus loin dans nos recherches et approfondir notre fonctionnement de création et production collectives, avec le vœu et la détermination de continuer le projet de cette pièce, en parallèle et à différents moments de notre vie. Quoi qu’il advienne à la vie du groupe, « Qui a tué Lolita ?» suivrait notre maturation, les cycles de nos vies d’artistes.
Les années se sont écoulées, nous avons atteint l’âge de nos rôles, et notre projet de collectif, lié à cette pièce fondatrice, émousse encore nos sens, veut encore vivre et se reposer, à travers cette œuvre, les mêmes questions avec les corps, les désirs et... qui sait ? Notre révolte d’aujourd’hui.